Je n’oublierai jamais cette expérience. Ces rencontres, ces moments de partage avec la population, les enfants, les mamas sur le marché ou dans la rue, les volontaires, ma famille d’accueil, mes maisonniers comme on les appelle ici, qui sont en réalité les propriétaires de mon nouvel appart. Au vu de la situation mondiale liée au Coronavirus, plus rien n’a la même saveur, la même couleur, ce n’est pas négatif, c’est juste différent. J’avais décidé de rester encore plusieurs mois tellement je me sens heureuse ici. Se faire couper l’herbe sous le pied, à peine à la moitié de mon voyage est une sensation inexplicable. Mes journées ressemblent à des photos avec un filtre sépia. Je regarde chaque centimètre carré de chaque paysage, chaque maison, chaque visage, chaque moto qui passe, la poste, le commissariat, les oiseaux.. Je ne saurais expliquer ce que je ressens aujourd’hui; de la joie et de la reconnaissance pour ces moments qui m’ont été donné, qu’on a accepté de partager avec moi.
Le volontariat a commencé pour moi à l’orphelinat. Les enfants m’ont appris à cuisiner, à parler éwé (leur langue maternelle), à sourire, à regarder. Nous avons discuté sur ma vie française. Ils m’ont appris leurs coutumes, leurs façons de faire. Je les ai entendu rire aux éclats car je ne savais pas comment préparer la pâte, ou que mon accent éwé était catastrophique. Je leur ai montré des photos. Ils connaissent aussi ma famille, dont ils font désormais partie..
Ma famille est grande, il y a aussi tonton Francis et tata (maman africaine) Juliette, le couple qui s’occupe des enfants chaque jour, mais aussi tata Justine, cuisinière dévouée (autant pour nous que pour les enfants, se levant chaque jour à l’aube et ce 7/7) et sans aucun doute la tata numéro 1 dans le cœur des enfants. J’ai eu des discussions avec tata Juliette, dépassée par un Grégoire rentrant en pleine crise d’ado. J’ai eu le rôle d’une tâta à savoir réfléchir, trouver des solutions, partager nos différences d’éducation, en faire un mix, essayer, se tromper, recommencer.
1 mois après mon arrivée, j’ai intégré l’équipe du jardin, plus loin de mon premier projet. J’ai dû prendre les Zem (moto taxi) chaque matin à 7h, regarder et écouter la ville qui se réveille, prendre le vent frais dans les cheveux en regardant les montagnes. C’est un projet de jardin participatif et biologique. J’ai rencontré de nouveaux volontaires. Chris, le togolais qui nous aiguille chaque matin pour faire avancer le jardin. Là aussi, l’échange de culture a été primordial, chacun ses idées, ses conseils du volontaire débutant au volontaire expérimenté. Les premiers mois à faire les allers retours à la rivière avec 10L d’eau à chaque bras pour arroser ce magnifique jardin, souffrant tellement de la chaleur, et ce chaque matin et pendant des heures, au soleil. C’est comme ça que les gens vivent, se nourrissent eux et leur famille, mais toujours, au grand toujours avec le sourire.
À partir de janvier, nous avons eu une motopompe puisant l’eau de la rivière pour la stocker dans un tank (grand réservoir de 1000L) stoppant l’arrosage manuel et nous permettant de passer plus de temps pour tester de nouvelles cultures, produire plus, entamer la vente de produit bio au voisinage. Nous avons aussi produit notre propre charbon avec les techniques européennes, ce qui a intrigué beaucoup de togolais voulant en savoir plus. Nous avons passé beaucoup de temps et mis beaucoup d’énergie dans ce projet. J’en garde un souvenir indélébile.
Mais le volontariat ce n’est pas seulement des projets, c’est aussi des rencontres, de la découverte, des chocs culturels, des amis avec qui la communication n’est pas toujours facile au début. Un mot, une phrase, une intonation ne veut pas dire la même chose en Europe qu’en Afrique. On l’apprend avec le temps, on s’adapte, on s’intègre, on questionne, on s’habitue et puis le temps passe, et eux aussi, togolais, s’adaptent s’intègrent, se questionnent et s’habituent à notre culture. C’est un échange permanent.
Nous avons voyagé au Ghana, à Badou, à Lomé, dans les villages alentours. Nous avons vu les cascades, les montagnes, rencontré les familles de nos amis. Nous avons bu beaucoup de bière et beaucoup de sodabi (boisson assez forte traditionnelle ici). J’ai mangé des tonnes de fufu, de la pâte sous toutes ses formes, sous toutes ses couleurs, du degué (yaourt frais sucré avec du couscous), de la bouillie, des beignets, ayemolou, des sauces, du piment, du gingembre, du thé. J’ai mangé des fruits tellement bons et juteux, des mangues, de la papaye, des ananas, des avocats, des oranges, des citrons.
J’ai dansé des heures au Crystal ou à l’Africa Bar. J’ai chanté, j’ai crié. Je suis restée assise sur le banc à la boutique discuter des heures ou même ne pas discuter. Nous avons joué aux cartes des heures à tous les endroits possibles et inimaginable. Nous avons crié « Yovo yovo bonsoir - Ca va très bien merci » avec les enfants. J’ai claqué des bises, fais des tchek un milliard de fois. Je me suis promenée dans le marché, dans la rue, mes pas rythmés par le bruit des Klaxons, zigzagant entre les Zem. J’ai croisé les rasta et leur boutique, les femmes hurlant ethi à plein poumons pour vendre les sachets d’eau qu’elles portent sur la tête. J’ai marché des heures en ville juste pour croiser les vendeurs, les vendeuses, les amis, les familles, les enfants.
Je me suis faites réveillée chaque matin par les cris des coqs, le bruit du balais (une vraie passion ici, le balais, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit). J’ai regardé le ciel, le soleil, les étoiles, le jour se lever et se coucher. J’ai vu naître Kekeli, j’ai été à un mariage et j’ai même assisté à des funérailles. Je suis également propriétaire d’un terrain à Agome Yoh avec une de mes plus jolies rencontres, un ami togolais. Nous y construisons actuellement une maison en bois, une grande cabane en hauteur comme dans mes rêves d’enfant.
J’ai eu deux accidents de moto, des situations financières complexes à régler, croisé de mauvaises personnes aussi. Parce que oui, c’est pas le paradis ici, on est toujours sur terre. Je préfère juste ma vie ici à ma vie européenne. Ce pays m’a apaisé, m’a appris de prendre le temps de faire chaque chose réellement, et ne pas courir après le temps.
Aujourd’hui, j’attends tous les jours la boule au ventre qu’on m’annonce que je doive prendre un avion. Je regarde chacun de mes amis autant européens que togolais. J’essaye d’enregistrer leur visage parce que je ne sais pas qui sera encore là à mon retour. Ce qui arrive aujourd’hui, va être un véritable carnage, ici, en Afrique. Oui, le volontariat a ses limites, et la première c’est qu’on ne vient pas changer le monde par contre, eux, ont changé le mien.
Aucun mot ne sera à la hauteur de ce voyage et de la situation aujourd’hui. Toute mon énergie est prise aujourd’hui pour me demander qui va me dire ouezon (bonne arrivée) à chaque fois que j’arrive quelque part quand je serais en France.
Sophie, 27 ans, volontaire long terme au Togo